Edito de décembre : Programmer, maîtriser sa mort ?

Le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) a ouvert la voie à une loi rendant possible le suicide assisté et l’euthanasie (Avis 139), dans certaines conditions bien précises toutefois (personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais à moyen terme »). Cette décision transgresse un des plus grands tabous de nos sociétés : la possibilité donnée par la loi de donner la mort.

L’indépendance
Cette décision entend répondre, en partie, mais en partie seulement, à la demande de nombre de français de pouvoir décider de leur mort. Comme ils ont décidé de leur vie, des choix existentiels comme des choix plus anodins, ils veulent choisir leur fin. Ils veulent être indépendants, autonomes jusqu’au bout (paradoxe de la demande puisque tant le suicide assisté que l’euthanasie font appel à un tiers, donc un acte de dépendance). Mais l’indépendance est au mieux une chimère, au pire une idolâtrie. C’est ainsi qu’en parle la Bible d’ailleurs. Si elle valorise le sujet, le constitue par une parole adressée, d’Abraham (« va vers toi » Genèse 12,1) à Zachée (« il faut que je demeure chez toi » Luc 19), l’Écriture dénonce l’orgueil de l’humain qui le conduit à s’ériger en un être autonome, fixant lui-même ses lois (autos, en grec signifie « lui-même » et nomos renvoie à la « loi »). Cette autonomie est le propre d’un homme qui se rêve et se conçoit comme un dieu sur son petit monde, maître de sa vie et de sa mort, et de la vie et de la mort des autres.

La peur
Mais, par-delà ce rêve d’autonomie, cette pression sociétale en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté révèle la peur profonde qui habite nos sociétés : la peur de ne pas performer, de ne pas réussir, d’être au chômage, à la rue, de ne pas pouvoir payer nos maisons de retraite, d’être une charge, un poids financier, physique, psychique pour nos enfants, sans oublier les peurs plus existentielles comme celle de la maladie, et bien sûr celle de la mort. Et, dans une société individualiste, ces peurs sont à affronter seul. Pas question de s’appuyer sur les autres, de compter sur quelqu’un. On est indépendant ou on ne l’est pas ! Et beaucoup se retrouvent par conséquent sans rien. Sans espoir et sans espérance. C’est peut-être cette perte d’espérance qui amène nombre de personnes à s’accrocher à la funeste illusion de vouloir « maîtriser » leur mort. Mais l’espérance ne peut jamais être en soi. Elle est toujours en l’autre, en cet autre que je rencontre au coin d’une rue, qui m’apporte son aide comme un bon Samaritain (Luc 10), sans que je ne demande rien. Juste parce que j’en ai besoin. Oui l’espérance est toujours en l’autre et par conséquent en cet Autre qu’est Dieu. Il nous faut pouvoir le dire dans le débat qui va s’ouvrir.
L’accompagnement
Il faut dire aussi que l’accompagnement à la fin de vie est insuffisant en France. Que la chaire dédiée aux soins palliatifs, créée en 2016, n’a toujours pas été pourvue. Qu’il n’y a que 152 unités de soins palliatifs (26 départements en sont dépourvus !) et 7500 lits fléchés à ces soins (chiffres de 2019). Qu’un tel dispositif ne permet pas de couvrir toutes les demandes et toutes les attentes : il en faudrait 3 à 4 fois plus ! Il faut dire qu’il est impératif d’investir maintenant dans ces soins : en formation, en bâtiments et en médecins, infirmier.ère.s, aides-soignant.e.s… Oui, l’accompagnement des personnes par des humains à un coût certain mais l’humain n’a pas de prix ! Chacun.e a droit d’être accompagné.e dignement à la fin de sa vie ! Or, la dignité n’est pas dans la mort mais dans le regard que l’autre pose sur moi, et notamment le regard de cet Autre qu’est Dieu. Le protestantisme est convaincu que « la dignité est intrinsèque à toute personne parce que créée à l’image de Dieu ; elle ne s’acquiert, ni ne se perd ». Le surplus d’humanité dont parlait le président de la République est sans doute là : dans la présence certaine d’un accompagnement humain, dans la présence de l’autre / l’Autre à mes côtés : l’Emmanuel de Noël !

Contact